Part 1 - Nakana VS Yami

Nakana émergea doucement dans la pénombre de la chambre de Rose. Bien que la lueur du jour y pénétrait à peine, elle eut le sentiment qu'il était déjà tard. Elles avaient veillé, avec Alex et Momo, jusqu'au bout de la nuit… Comment se faisait-il qu'elle n'avait pas été réveillée par le bruit de ceux qui quittaient le squat au petit matin ? C'était bien la première fois depuis des années que la gueule de bois n'avait pas raison de son sommeil…
Elle tourna la tête vers Rose. Celle-ci dormait encore à poings fermés. La contrebandière sortit discrètement, en prenant soin d'éviter les cadavres de bouteilles, et monta vers sa chambre. Elle se sentait bizarre. Pas bizarre comme un lendemain de cuite, pas que, en tous cas. C'était une sensation de même nature que celles qui la traversaient fréquemment depuis qu'elle avait absorbé le pouvoir des sirènes. Et ce matin, c'était curieux, mais, pour changer, la sensation était toute douce et ne lui donnait pas la nausée. Pour un peu, elle se laisserait presque bercer.

Luka, posé sur le toit depuis déjà deux bonnes heures, était sur le point de terminer son aquarelle. Le calme régnait sur la matinée et la lumière du jour, qui traversait sans peine de minces nuages grisonnants, resplendissait : une journée parfaite pour honorer la demande que lui avait faite Ian de participer à l'exposition qu'on lui permettait de monter dans une petite galerie éphémère, à la lisière du centre-ville, sur le thème des bas-quartiers vus de l'intérieur. Entre un café refroidi et ses pinceaux disposés pêle-mêle sur une palette où dominaient les tons marron et gris, le jeune homme, assis en tailleur, peaufinait énergiquement les derniers détails, son grand carnet posé à même ses jambes. Il soignait spécialement le visage des deux enfants déguenillés qui l'avaient salué un peu plus tôt depuis la mansarde de l'immeuble d'en face, tout étonnés de voir leur voisin tranquillement installé sur son propre toit – il avait à peine eu le temps d'imprimer leurs sourires dans son esprit que déjà les cris de leur mère les avait rappelés dans l'ombre du taudis qui servait de maison à leur famille de sept.
Il releva la tête pour vérifier un élément du poteau électrique qui entrait dans son cadre, le corrigea aussitôt, puis regarda de nouveau histoire d'en être certain. Mais ce qu'il vit alors lui fit lâcher son pinceau de stupeur. L'outil roula jusqu'au bord du toit et tomba dans le vide, se cassant au sol quelques instants plus tard dans un craquement léger. Le pirate baissa de nouveau les yeux vers sa peinture, comme s'il devait y trouver la solution à l'incroyable phénomène qui se produisait sous ses yeux. Son regard fit encore un aller-retour entre l'horizon et le papier, puis, sentant que cela ne présageait rien de bon, il ramassa en hâte ses affaires, se releva d'un bond, renversant au passage le café oublié, et se précipita vers le rebord du toit où il prit appui de sa main libre pour sauter à travers la petite fenêtre de sa chambre. Il déposa – enfin, jeta presque – par terre tout ce qui lui encombrait les bras et accourut dans les escaliers qu'il dévala à toute berzingue, à tel point qu'il fonça droit dans son amie, qui s'était arrêtée en entendant ses pas affolés.

« Aïe, mais fais gaffe putain !, l'engueula la jeune femme qui s'était retenue de justesse de tomber. Qu'est-ce qui te prend ?! »

« Naka faut absolument que tu voies ça !!! », s'exclama le contrebandier en la saisissant par le poignet afin de l'entraîner vers leur chambre au dernier étage.

Là, il se hissa de nouveau sur le toit, suivi de Nakana qui, au-delà de son agacement, était intriguée de savoir ce qui provoquait si fort la panique de son ami. Sans qu'il ne dise mot, elle suivit son regard tourné vers la ville.
D'immenses faisceaux lumineux s'élevaient des quatre coins de Tomodachi et rejoignaient, au centre de la cité, une cinquième colonne encore plus imposante, qui tendait vers le ciel. De petites sphères de lumière flottaient tout autour d'eux, attirées vers le rayon qui s'élevait vraisemblablement depuis la place centrale des bas-quartiers. De leur perchoir, toutefois, il était évident pour les deux pirates de voir qu'il se produisait la même chose autour de chaque faisceau.

« Celui au milieu… J'ai l'impression… D'après les autres, c'est là que se trouvait la Tour des Songes. »

A la jeune femme non plus, ce spectacle ne disait rien qui vaille.

« Faut qu'on aille voir. »

Elle disparut dans leur chambre et en remonta presque aussitôt, leurs armes à la main. Elle tendit l'épée des sirènes à son ami et noua rapidement la gaine de la sienne autour de sa ceinture, avant de se mettre à courir à toute allure en direction de l'ouest, plus aisé à atteindre depuis les toits que le rayon du sud, à distances à peu près égales.
Sur le chemin, en regardant en contrebas, ils pouvaient voir les rares arbres qui ornaient ce coin de la ville dépérir à vue d’œil. Il y avait, effectivement, de quoi s'inquiéter… Peu avant qu'ils ne parviennent au lieu où s'élevait la colonne qu'ils visaient, Luka, essoufflé de sauter au-dessus du vide et surtout de prier que sa vie ne s'arrête pas à une distance mal estimée entre deux toits un peu trop éloignés, rattrapa son amie par le bras.

« Naka ! Attends… Tu… t'es sûre de vouloir y aller ? Enfin… Et si ça avait vraiment un rapport avec l'Eternalis ? Et si Soruka avait déjà réussi à mettre en marche ses projets ? Et même si c'était autre chose ?! J'veux dire… Tu… tu maîtrises même pas encore tes pouvoirs !… »

L'anxiété du jeune homme fit sourire la contrebandière. Au bout du compte, il se préoccupait toujours plus d'elle que de quoi que ce soit d'autre.

« Tu sais bien que même sans mon épée, j'y serai allée. Toi par contre, si tu… »

Luka secoua la tête.

« Si t'y vas, j'y vais. »

« Alors c'est décidé », confirma la jeune femme dans un sourire rassurant.

Ils parcoururent le petit bout de chemin qu'ils avaient encore devant eux et, une fois au sommet de l'immeuble le plus proche du faisceau de lumière, s'approchèrent tout doucement du bord. Par prudence, ils se couchèrent sur le béton pour jeter un discret coup d’œil en bas.
Personne… Personne, mais un nombre incroyable de petites sphères posées au sol. Vue d'ici, la colonne de lumière, qui penchait vers le centre de Tomodachi, ne semblait plus homogène : on pouvait y distinguer comme des myriades de points, assez pour faire mal aux yeux si on les fixait trop longtemps.

« Mille sabords, mais qu'est-ce qui se passe au juste ?… »

A peine Luka eut-il terminé sa phrase qu’une voix résonna comme sortie de nulle part :

“ Rien qui ne vous concerne en tout cas. “

La voix était féminine et, à bien y regarder, elle semblait sortir d’un petit boîtier près de la porte menant à l’escalier d’accès au toit. La minute suivante, la porte bascula laisse apparaître la propriétaire de la voix :

”j’aime pas les descriptions de perso :

“ Nakana et… Luka, c’est bien ça ? Vous ne devriez vraiment pas vous préoccuper de ça… Mais c’est gentil à vous d’être passés me saluer ! “

Le plus naturellement du monde, elle sortit de sa poche un appareil photo polaroid beaucoup trop grand pour avoir vraiment pu être dans ladite poche. Comme si c’était l’acte le plus naturel du monde, elle prit les deux pirates en photo avant de leur tendre.

“ Tenez, souvenir de notre rencontre ! Comme ça vous ne serez pas venu pour rien au moins ! “

En entendant une troisième voix surgir derrière eux, les deux pirates firent volte-face. Personne… De quoi attiser d'autant plus leur méfiance. Nakana, qui s'était redressée d'un coup, se dirigea vers le boîtier posé près de la porte qui donnait accès au sein de l'immeuble.

« Ça vient de là. »

De légers bruits de pas se firent alors entendre de l'intérieur. La contrebandière recula, main sur l'épée, prête à dégainer. Luka, inquiet, se rapprocha d'elle. Et en effet la porte s'ouvrit, laissant apparaître une fille qui semblait avoir leur âge, plus ou moins. De prime abord, elle n'avait pas l'air menaçante. Ils ne la connaissaient pas, mais sa voix ressemblait à celle qui était sortie du boîtier – et surtout, elle, elle semblait les connaître, leurs noms du moins. Comment était-ce possible ? Et comment avait-elle pu entendre Luka ? En tous cas, eux et leur curiosité n'avaient pas vraiment l'air d'être les bienvenus…
Alors que Nakana s'apprêtait à demander des explications qu'elle comptait bien obtenir de gré ou de force, l'inconnue sortit de sa petite poche un grand appareil photo – comment avait-il pu tenir là-dedans ? – et immortalisa les deux pirates avant de leur tendre le morceau de papier blanc brillant qui venait de glisser de l'engin.
Le jeune homme, intrigué, commença à tendre la main pour le récupérer, mais c'était sans compter sur son amie qui, d'un coup d'épée, envoya voler l'appareil qui s'écrasa quelques mètres plus loin. Si Luka s'était trouvé là lors de la première rencontre de la contrebandière avec Hanyuu, il aurait déjà su à quel point ce genre d'objet ne l'amusait pas.

« T'es qui ?! », demanda alors la jeune femme, d'un ton blindé d'agressivité.

A voir son cher appareil photo finir en morceau, la jeune fille ne put s’empêcher de rapidement cligner, incrédule. Après qu’on lui ait demandé son nom, elle se contenta de soupirer, comme lassée des événements qui ne faisaient pourtant que commencer.

“ Tu peux m’appeler Yami ! “

Elle commença à tendre la main vers eux, comme pour les saluer, mais compris que même si Luka accepterait, il n’en serait certainement pas de même pour Nakana, ce qui la fit se raviser. S’inclinant respectueusement, elle lança un :

“ Je suis sincèrement désolée pour toutes ces perturbations qui arrivent en ville actuellement… “

Se redressant, elle jeta un oeil vers la colonne de lumière la plus proche d’elle.

“ Ça m’arrangerait vraiment si vous n’essayez pas de vous en prendre à ceci… Non pas que vous pourriez facilement… Mais je n’aimerai pas avoir à vous arrêter dans tous les cas. “

Dans un petit sourire, elle termina sur un :

“ Les personnes ayant de la magie en eux ne peuvent être touché par ce qui arrive à cette ville, alors, vous n’avez rien à craindre je pense… Et puis, si vous avez des proches n’étant pas dans ce cas, vous pouvez toujours les faire quitter la ville. En allant assez loin d’ici, rien ne devrait leur arriver ! “

Que la jeune femme leur donne son prénom, c'était la moindre des choses, cela les remettait sur un pied d'égalité, mais au fond, que pouvaient-ils en tirer d'utile ?… Ce que la contrebandière voulait savoir en posant cette question lapidaire, c'était d'où venait cette nana et quel était son rôle dans toute cette mascarade. Mais avant même qu'elle n'ait pu insister, l'autre s'excusa en s'inclinant puis renouvela sa mise en garde, avant de leur laisser entendre que les personnes dépourvues d'essence magique feraient bien d'évacuer Tomodachi au plus vite.

« Sinon quoi ?! », s'écria Nakana dans un mouvement de défi, resserrant sa prise autour du manche de son arme, la voix marquée par la colère.

Si l'inconnue disait vrai, alors ils encouraient un danger qu'ils étaient bien en mal de pouvoir estimer : leurs potes du squat, leurs voisins de quartier, quasiment tous les habitants – mais ces gens-là, au final, importaient peu à la pirate. Elle n'avait élevé la voix qu'en pensant à celui qui se tenait juste à ses côtés.
Afin de calmer le jeu, Luka, jusque-là demeuré silencieux, posa la main sur celle dont son amie portait son épée et l'obligea d'une légère pression à la mettre en retrait. Il regarda droit dans les yeux celle qui leur faisait face.

« Excuse-nous pour ton appareil, Yami. »

Il sentit les doigts de la contrebandière se crisper sous sa paume. Mais quoi ? Toujours ménager un potentiel adversaire, surtout lorsque l'on ne se trouve pas franchement en position de supériorité.
Évidemment qu'il avait peur. Le contraste entre la gravité de la situation et l'apparente douceur de Yami le déstabilisait. Lorsqu'elle avait parlé des gens qui possédaient en eux des pouvoirs et de ceux qui n'en possédaient pas, et du fait qu'il serait bon que les seconds quittent la ville, il avait discrètement jeté à son amie un coup d’œil inquiet. Leurs potes du squat, leurs voisins de quartier, quasiment toute la ville – en danger. Et, sans le savoir, c'était aussi de lui qu'elle avait parlé.
Mais Luka souhaitait d'abord comprendre. Le plus terrifiant, c'était de ne pas comprendre. Ni ce qu'étaient ces phénomènes lumineux, ni pour quelle raison ils avaient affaire à cette fille. Ni pour quoi, ni ce contre quoi l'on allait peut-être en arriver à se battre. Ça arrivait trop souvent, et pourtant il n'y avait rien de plus absurde au monde.

« Mais dis-nous enfin, qu'est-ce qui se passe ici ? Et qu'est-ce que c'est que ce truc ?!, demanda-t-il en désignant d'un vif geste de la main la colonne de lumière. Et toi ?… D'où tu connais nos noms ? Me semble pas que nos chemins se soient déjà croisés… Je me trompe ? »

Nakana qui réagissait violemment et Luka qui tempérait la situation plus calmement en posant des questions, à voir cette simple scène, Yami ne put s'empêcher de laisser échapper un petit sourire amusé. Le peu qu'elle connaissait d'eux correspondait tellement à ce qu'elle voyait en cet instant, ils étaient comme un frère et un soeur au fond... Mais elle ne devait pas se laisser attendrir. La mission avant tout. Elle ne pouvait la laisser échouer. Reperdant son sourire, la jeune fille poussa un léger soupire, évidemment, ils voulaient savoir le pourquoi de ses paroles, comprendre... Comme tout le monde le souhaitait toujours au fond.

" Savoir ne t'avanceras pas à grand chose, Luka... "

Elle observa rapidement les alentours, comme si la réponse allait tomber du ciel et qu'elle n'aurait qu'à lui tendre, s'épargnant ainsi la peine de devoir elle-même la fournir. Dans tous les cas, sa priorité étant de gagner du temps, elle n'aurait pas à s'en vouloir de tarder. Observant un instant le faisceau de lumière, elle pointa finalement du doigt la végétation la plus proche d'eux, bien que tout de même relativement éloignée.

" Sans magie, la ville ne peut plus protéger les âmes qui y demeurent, comme pour ces plantes. "

Marquant un nouveau temps d'arrêt, elle laissa échapper un petit sourire presque rassurant à l'attention de Luka - elle avait bien compris que c'était inutile de faire de même avec Nakana.

" Au fond, tous les êtres vivants sont composés pareil du point de vue de l'âme. Bien entendu, ceux ayant suffisamment de magie n'ont pas besoin de celle de la ville, ce qui les épargnera. "

Plaçant ses mains, paumes vers le haut, au niveau de ses épaules, elle haussa ses dernières, ajoutant :

" Tu vois, ça ne t'avance à rien de savoir ! Je te l'avais dis ! "

En prononçant cette dernière phrase, elle n'avait pas pu s'empêcher de lâcher un petit rire amusé.

" Quant à vos noms... Allons, tout le monde connaît tout le monde ici, je me trompe ? Comment n'aurais-je pas pu n'avoir ne serais-ce qu'entendu parler de vous ? Ce n'est pas parce que nous ne nous sommes jamais croisés que je ne peux pas vous connaître ! "

Perdant son air amusé, la jeune femme se mit à nouveau à abserver les alentours, bien que son regard se dirigea de plus en plus vers la colonne centrale. D'une certaine façon, elle semblait même agacée par les événements. Comme remarquant que les deux adolescents étaient toujours présents, elle lâcha un :

" Autre chose ? Ce n'est pas que vous me dérangez mais... Vous voyez, je suis censée empêcher les possesseurs de magie de traîner dans le coin donc... Ça m'arrangerait un peu si vous pouviez ne pas traîner ! "

Pas grand-chose, pas grand-chose… Oui, enfin, lorsque Yami daigna à peu près répondre à ses questions, le pirate apprit comme si de rien n'était qu'il risquait de rendre l'âme d'un instant à l'autre parce que… parce que quoi ? S'il avait bien comblé les lacunes que laissait la mystérieuse jeune femme dans son discours, Tomodachi était en train de se vider de son essence magique… par le biais de ces colonnes de lumière ? Mais… mais dans quel but ? Pour la donner à qui ? Et comment, si simplement ? Au passage, au-delà de toutes ces interrogations, il prenait encore une fois conscience de la singularité de cette ville, où toute forme de vie dépendait de sa magie.

« Non, non, bien sûr… », répondit-il pourtant, troublé, à Yami qui insistait une nouvelle fois sur l'inutilité de s'expliquer.

A vrai dire, il avait l'impression ce qui était en train de se produire le dépassait à tel point que, comme Nakana, il avait à peine réagi aux paroles de leur interlocutrice. Tout juste fronça-t-il les sourcils lorsqu'elle prétendit connaître leurs noms grâce au bouche-à-oreille. Qu'est-ce que c'étaient que ces histoires ?… Et quand bien même elle disait la vérité, n'aurait-il pas fallu qu'elle s'intéresse un tant soit peu à eux pour que leurs noms soient pour elle d'une quelconque importance ? Comment cela pouvait-il être le cas ? Ils n'étaient rien…
Tandis que Yami détournait un instant son attention de leur présence, les enfants de la mer échangèrent un regard plein de doutes. Que faire ?… C'était très grave. Les questions de vie ou de mort, ils connaissaient, mais ils les avaient presque toujours affrontées à armes égales.
La jeune femme leur rappela alors qu'ils étaient censés dégager, et vite. Enfin… Elle ne le savait pas, mais si ce qu'elle disait était vrai, seule la contrebandière devait représenter pour elle une source de soucis. Luka, lui, était bon pour connaître le même sort que le pauvre arbre du coin de la rue si le processus poursuivait sa marche. Il se trouvait en grand danger, comme le reste des habitants de la ville, et il ne comprenait toujours pas. D'une petite voix, il demanda encore :

« Mais pourquoi ?… »

« Tu devrais aller prévenir les autres », intervint Nakana.

Le pirate se tourna de nouveau vers elle, une lueur inquiète dans les yeux.

« Je peux les appeler… »

« Vaut mieux que t'y ailles. »

Il avait bien du mal à garder son sang-froid. Il voyait parfaitement où voulait en venir son amie – mais il ne pouvait pas ! Un sentiment immense d'impuissance le gagnait petit à petit. Il faisait de son mieux pour ne pas le montrer devant Yami, mais il avait peur – vraiment.

« Alors viens avec moi ! »

« T'as pas besoin de moi pour les prévenir de quitter la ville. »

« Et ils ont pas besoin de moi pour gagner la plaine. »

« Eh bien, veille à ce qu'ils y restent. »

Luka aurait aimé protester encore, mais il savait que s'il disait quelque chose de travers, ou de trop, cela risquait de leur porter préjudice. Il en voulait à Nakana de ne pas lui laisser le choix, mais que pouvait-il faire ?… La boule au ventre, il commença à rebrousser chemin à toute allure, après avoir jeté un dernier regard à la jeune femme aux couettes. De toute façon, c'était décidé, malgré ce que lui avait demandé la contrebandière, il reviendrait. Qu'importait sa propre sécurité, si elle lui coûtait d'abandonner son amie au danger. D'ici là, prends soin de toi, Naka…

La pirate suivit quelques secondes le jeune homme du regard, puis elle reporta son attention vers Yami. Elle n'en avait rien à faire du sort de Tomodachi, ni de ses habitants, pas même de ceux aux côtés desquels elle avait appris à vivre depuis quelques mois. La seule vie qui lui tenait à cœur était celle de son ami. Sans doute aurait-elle pu l'accompagner dans sa fuite, se mettre à l'abri avec lui, et tout aurait été réglé. Mais il y avait une chose que cette charmante demoiselle n'avait pas comprise : elle n'était personne pour leur causer de cette façon, et encore moins pour leur demander de se tirer histoire d'arranger ses petites affaires – affaires qui, en passant, mettaient en danger les jours du pirate. Et, rien que pour cela, malgré le fait qu'elle détestait ses pouvoirs, qu'elle ne les accepterait jamais véritablement, malgré le fait qu'elle ne savait pas qu'en faire ni les maîtriser, puisqu'elle avait choisi de vivre, au moins d'essayer de vivre avec - malgré - eux et qu'ils lui permettaient de faire face à ce qui se préparait, elle ne la lâcherait pas. Avec tout le sérieux du monde, elle lui lança, tranquillement :

« Considère que tu as échoué. »

Yami resta silencieuse pendant toute la discussion entre les pirates : à priori, ils avaient ainsi des gens qu'ils désiraient protéger dans cette ville... Soit. Elle n'avait aucun intérêt à les empêcher de les faire fuir, loin de là. Son seul but, c'était la magie de la ville, le reste n'importait peu. Bien entendu, ils auraient pu évacuer toutes les personnes vivants dans les lieux avant de lancer le procéder, mais avec un peu de logique : qui aurait été assez fou pour accepter qu'une bande d'inconnu leur demande de quitter les lieux ? Au fond, ils n'étaient que des dommages collatéraux... Mais cela ne pouvait pas dire que la jeune femme souhaitait sincèrement la moindre mort entre ces murs.

En voyant Luka s'éloigner, le monstre le fixa : elle n'avait aucune raison de le poursuivre, qu'il sauve les gens qu'il souhaitait au fond... De toute façon, il semblait trop bon envers tout le monde pour ce combat. Peu importe qui d'eux deux aurait causé la perte de l'autre, ils s'en seraient sans doute voulu, au fond, c'était peut-être mieux de ne se charger que de Nakana, même si l'envahisseuse aurait préféré l'éviter...

" Ainsi soit-il... "

Yami observa rapidement les environs : se battre sur un toit n'était peut-être pas la meilleure idée qui soit... Mais si la pirate avait décidé de la provoquer, c'était qu'elle aussi devait accepter cette condition.

" Sache juste que faire partir ceux que vous voulez sauver jusqu'à la plaine ne sera peut-être pas suffisant... La base de la magie s'y trouvant, il vaudrait mieux leur dire de rejoindre la ville la plus proche plutôt que de s'arrêter à quelques pas... Je ne vois pas d'inconvénient à ce que tu préviennes Luka si tu le souhaite... "

Faisant mine de s'étirer, la jeune femme laissa à son adversaire tout juste le temps d'envoyer un rapide message à son ami avant de reporter son attention sur elle. L'avait-elle fait ou non ? Au fond, le monstre ne s'en préoccupait absolument pas : cela ne la concernait pas.

" Bien, si tu es prête... "

Tendant le bras droit, Yami fit se toucher ses doigts avant d'ouvrir d'un geste sa paume. Rapidement, elle reproduisit le phénomère après avoir déplacé sa main, comme visant plusieurs endroit du ciel. Fermant le point d'un coup, des lances apparurent dans le prolongement de son bras précédemment, et ce à chaque point où elle avait effectué son action. L'une après l'autre, les lances se précipitèrent vers Nakana, alors que déjà la monstre recommençait ses signes.

La pirate ne contacta pas son ami. Elle savait que, face au danger, elle pouvait compter sur sa prudence et sur son extraordinaire bon sens pour protéger ceux qu'il aimait. De ce côté-là, tout irait bien. Pourtant, en ce qui le concernait lui, elle ne pouvait s'empêcher de douter. Est-ce qu'il accepterait de la laisser mener seule le combat pour rester à l'abri, comme elle le lui avait subtilement demandé ? Honnêtement, difficile à croire. Mille milliards de sabords, Luka, un peu de jugeote, pour une fois !…
Tandis que Yami s'étirait, elle tourna le regard vers la plaine. La base de la magie… Qu'est-ce que c'était, concrètement ? L'étrange et douce sensation qui l'avait marquée lorsqu'elle s'était réveillée tout à l'heure n'avait pas disparu, bien au contraire, et, comme elle se faisait plus forte encore, Nakana sentait que là-bas aussi, quelque chose était en train de se jouer.
Lorsqu'elle fit de nouveau face à Yami, celle-ci était sur le point d'engager le combat. La contrebandière renforça sa prise sur son épée et suivit ses gestes des yeux, tâchant de deviner ce qu'il allait bien pouvoir en sortir…
Des lances ! A l'ancienne. Nakana n'eut aucun mal à les éviter. Elle en dévia certaines avec son épée, en esquiva d'autres. En gardant un œil sur son adversaire, il ne lui était pas difficile d'anticiper le point d'origine et la trajectoire des armes. Mais elle ne devait pas se laisser épuiser par les salves qui se succédaient sans temps mort. Tout en continuant à danser entre les traits, elle se rua sur son adversaire, prête à jouer de sa propre lame. Au passage, elle saisit une lance qui fila près d'elle et, faisant attention à bien viser, la jeta aussitôt vers Yami. Peut-être que ça lui laisserait quelques secondes de répit, le temps de fondre tout droit sur l'étrange jeune femme. Qui, sans doute, avait bien d'autres cartes à jouer. Pourvu, pourvu qu'elle la batte sans que ses pouvoirs ne s'invitent à l'improviste dans le combat...

Tandis que Yami continuait d’invoquer ses lances, l’une d’elle fut attrapée par son adversaire qui lui renvoya aussitôt. Pensait-elle vraiment que le monstre n’avait rien prévu contre ses propres créations ? Ou peut-être imaginait-elle les lances plus réelles qu’elles n’y parraissaient ? Cessant simplement les mouvements d’une de ses mains, elle la pointa le plus simplement du monde vers l’arme qui disparut en une sorte de poussière qui fonça vers les yeux de la pirate. Voyant cette dernière approcher, la jeune femme ne tarda pas à faire apparaître un saï dans sa propre main, de quoi contrer au mieux celle qui déjà venait l’attaquer. Curieusement, l’arme était en tout point semblable à celles qu’utilisaient Lysis, et ce dans les moindres détails.

Laissant échapper un petit sourire, l’envahisseur fit un rapide geste de l’arrière pour faire s’élever l’épée avant de faire un bond en arrière. A l’endroit où elle se trouvait juste avant, un rondin de bois sculpté sortit du sol à grande vitesse, nul doute que le bélier aurait pu envoyer Nakana plus loin sans trop de difficulté. Néanmoins, il semblait que ce n’était pas le but de la jeune femme que de blesser son adversaire par ce coup, non, elle avait simplement prévu de la faire reculer, juste assez loin pour qu’elle se trouve sur une zone qui s’éclaira un bref instant avant que de nouvelles lances sortent du sol. Une fois à vue, les lances disparurent et une nouvelle zone se dessina sous les pieds de la pirate, faisant en sorte de la tenir la plus éloignée que possible du monstre.

“ Tu aurais vraiment dû quitter les lieux avec ton ami… “

Tout en prononçant ces mots, Yami avait fait apparaître une arbalètes dans ses mains, lançant sans plus tarder une de ses flèches en direction de son ennemie.

Évidemment… Au fond, la pirate fut à peine surprise de voir la lance qu'elle avait renvoyée se volatiliser. Elle n'eut d'autre choix, le temps de franchir en courant le nuage de poussière agressif, que de détourner un instant la tête, les paupières solidement closes par réflexe – tout ce qu'il ne fallait pas faire en plein combat, jamais ! La première chose qui attira son attention, lorsqu'elle rouvrit les yeux, fut la lame de petite taille que Yami serrait à présent entre ses doigts… Elle l'avait déjà vue, elle en aurait mis sa tête à couper. Mais comment… comment ?
Alors qu'elle arrivait enfin à portée de bras de son adversaire, elle sentit son épée échapper à sa force et la tirer en arrière, juste avant qu'un rondin de bois ne surgisse du sol entre elle et Yami, comme pour lui défendre explicitement d'approcher davantage. Sur le coup, la jeune femme, prise de méfiance, préféra lâcher sa lame. Mais rien de bizarre ne se produisit ensuite – l'épée répondit simplement aux lois de la gravité. La contrebandière lança à Yami un regard empli de défiance, puis se baissa lentement pour ramasser son arme. Elle ne comprenait pas… Si ce simple geste avait suffi à cette petite conne à en prendre le contrôle, elle ne lui laissait plus grand recours.
Tout à coup, au moment même où elle effleurait le manche de son épée, le sol s'illumina sous ses pieds. Un rapide coup d’œil vers Yami : il ne fallait pas rester là. Vite. Nakana reprit son épée. Se jeta sur le côté. Une douleur fulgurante traversa son épaule gauche. Elle roula sur elle-même sous la puissance de son élan, les dents serrées. A peine le temps de se redresser, de prendre conscience qu'elle avait manqué se faire déchirer le bras entier par une lance, et le phénomène recommença. Cette fois, elle l'anticipa mieux. Pas de dommages supplémentaires. En revanche, elle s'était beaucoup, beaucoup trop éloignée de Yami pour espérer, en l'état, mener elle-même le combat à un moment donné.

« Tu aurais vraiment dû quitter les lieux avec ton ami… »

Comme pour accompagner cette provocation, son adversaire fit apparaître une arbalète – tiens, rien que ça ! Mais bon sang, combien d'armes avait-elle à sa disposition ? – et elle tira vers elle. Hauteur de tête. La jeune femme se baissa aussitôt qu'elle vit la flèche partir. Celle-là, elle était dangereuse. La rapidité, la précision. Elle ne pouvait pas rester à sa merci, pas plus qu'à celle des lances qu'elle continuait d'éviter au mieux. Le rebord du toit se rapprochait chaque instant davantage. Elle portait bien à la ceinture son tout petit pistolet, dissimulé sous ses vêtements. Projectiles de petite taille, sans recharge. Non – elle devait forcer ce à quoi Yami semblait vouloir à tout prix échapper : le corps-à-corps.
Elle esquiva une nouvelle poussée de lances et recula de quelques pas pour faire face à la fille aux couettes, jusqu'à sentir le sol manquer sous ses talons.

« Sans doute. »

Ignorant sa douleur à l'épaule, elle dégaina d'un coup sec son pistolet et, d'une seule salve, déchargea toutes ses munitions sur Yami, avant de lâcher l'arme à feu et de se laisser tomber dans le vide.

Mille sabords, pour sa position, elle avait visé juste ! La contrebandière, de sa main libre, venait de se raccrocher in extremis au rebord de la fenêtre située en dessous de son point de chute. Elle y déposa son épée, juste le temps de se hisser au niveau des vitres. La profonde entaille qui lui barrait l'épaule, ruisselante de sang, rendait l'appui de son bras gauche extrêmement instable et douloureux, mais elle ne s'y attarda pas : un instant de répit pouvait être fatal à sa contre-attaque. Elle ne savait même pas si ses balles avaient touché Yami de manière significative. Les tremblements de son bras n'avaient probablement pas aidé à la précision de ses tirs. Son but, ç'avait été avant tout de la surprendre assez pour qu'elle n'ait pas immédiatement le réflexe de venir jeter un œil par ici.
Par chance, juste à l'instant où elle récupérait son épée, le son opportun d'un klaxon bruyant s'éleva de la rue en contrebas – assez fort pour couvrir le bruit de la vitre qui se brisait sous la force de son coude. Tant pis pour les tessons de verre. Une fois à l'intérieur, Nakana accourut sans perdre de temps vers la porte d'entrée. C'était un studio, visiblement, dont le résident, un homme d'âge moyen au regard médusé, venait de pointer la tête hors de la salle de bains. La pirate lui aurait à peine prêté attention s'il ne l'avait pas obligée à l'assommer en se mettant en travers de son chemin, prêt à hurler contre elle au risque de signaler sa position. Une fois dans la cage d'escalier, elle monta à pas de loup, aussi rapidement que possible, les marches menant au toit du bâtiment.

*Lysis !*

C'était Lysis qui se battait avec cette petite lame qu'elle avait vu Yami employer tout à l'heure ! Une dans chaque main. Plus intriguant encore, Nakana aurait juré que c'était exactement la même que celles de l'illusionniste. Elle aurait pourtant mis sa main à couper qu'elles avaient tout de pièces uniques. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Même si le saï de Yami était aussi peu concret que ses lances ou son arbalète, pourquoi ressemblait-il à ceux-ci en particulier ?…
Pour l'heure, elle fonçait vers la lumière du jour. En principe, Yami n'avait pas trop bougé depuis qu'elle avait débarqué sur le toit par le même chemin. La contrebandière, espérant que l'effet de surprise avait tenu la quinzaine de secondes qu'il lui avait fallu depuis sa chute, franchit à toute vitesse la porte donnant à l'air libre et sauta à plein élan sur son adversaire, les jambes en avant afin de la renverser d'un seul et puissant coup. Elle posa le pied sur son dos et l'appuya de tout son poids pour la retenir au sol, avant d'abattre d'un geste sec son épée vers sa nuque dégagée.

Du côté de Luka:

Ayant réussi à toucher son adversaire, Yami tenta au mieux de viser de façon à l’handicaper, néanmoins, Nakana réagissait bien, esquivant le moindre coup suivant. Pire, elle semblait même se diriger vers le même type de combat que le monstre à l’aide d’une arme à feu. Réagissant aussi vite que possible, elle se prit néanmoins une balle en plein dans le bras, l’obligeant à faire disparaître l'arbalète qui devenait inutilisable en l’état. Rapidement, elle fit néanmoins apparaître une flèche dans sa main, scrutant les environs à la recherche de la pirate.

Était-elle partie ? Peu probable… Même si la combattante ne souhaitait que le départ de son adversaire, celle-ci ne semblait pas vouloir se contenter de si peu… Tels étaient les combattants de Tomodachi après tout, et même si Nakana était plus humaine dans l’esprit que la plupart, elle n'échappait pas à la règle. Scrutant les lieux avec attention, Yami ne laisse pas sa concentration flancher, surtout pas : c’était comme ça qu’elle pourrait échouer et se faire frapper en traître. Elle remonterait par là où elle était descendue, restait à savoir où était ce fichu endroit du toit !

Mauvaise déduction, Nakana avait débarqué par l’entrée la plus logique au fond, la renversant au passage, la poussant alors à lâcher la flèche. Au sol, Yami ne pouvait que deviner exactement où était son adversaire… Il ne restait alors plus qu’une seule solution. Le sol autour d’elle, et même par endroit sous elle, se mit à briller tandis que la pirate s’apprêtait à l’embrocher. Rapidement, de nouvelles lances sortirent du sol, néanmoins, celles-ci semblaient toucher davantage le monstre que sa cible. Au final, avant que l’épée ne put faire de dégâts trop importants, l’attaque de l’envahisseur les blessa toutes deux, éloignant ainsi la pirate.

Chancelant, Yami attrapa la flèche au sol et se releva tant bien que mal, lançant d’un coup son arme vers son adversaire qui était à peine éloignée d’elle. A peine quitta-t-elle sa paume que la flèche sembla se diviser en cinq nouvelles, qui attaquèrent leur cible l’instant suivant. Le combat devait se terminer rapidement… Le monstre perdait beaucoup trop de sang et elle le savait parfaitement.

En bas, à un quart d'heure de là, Luka courait comme un dératé vers le lieu du combat, bousculant sans gêne les passants qui, nerveux, s'exclamaient furieusement après lui, traversant les rues au rouge en manquant à chaque fois de se faire écraser, faisant attention à chaque croisement de ne pas se tromper de chemin. Il ne savait pas si c'était dû à la tension et à la peur qui lui tenaillaient l'estomac ou s'il était véritablement en train de se faire pomper son énergie, mais il sentait bien qu'il n'était déjà plus au meilleur de sa forme : il respirait mal, il s'essoufflait vite, était pris de vertiges par moments et manquait de peu s'écrouler en pleine course. Mais il y pensait à peine : c'était pour Nakana qu'il avait choisi de revenir sur ses pas.
A mi-chemin pourtant, il songea qu'il ne lui serait pas d'une grande aide, vidé de ses forces. Il ralentit en arrivant au carrefour, regarda très vite autour de lui et repéra une fille sur un scooter, arrêtée au feu rouge. Sans y penser à deux fois, il se précipita vers elle, la délogea brutalement de son siège et s'installa, le cœur battant.

« Bordel comment ça marche cette merde… WOOOH ! »

Le pied collé à l'accélérateur qu'il venait de trouver, il démarra en trombe sous un tonnerre d'insultes et de menaces.

*Tiens bon ma vieille, j'arrive !*

Si près du but !… Lorsqu'elle remarqua que le sol s'illuminait autour d'elle, la contrebandière n'eut d'autre choix que d'interrompre son attaque et de bondir en arrière. Pas assez tôt cependant : les armes de Yami lui lacérèrent tout le corps, et il s'en fallut de très peu qu'elle ne se fasse transpercer. Pire : son épée lui était tombée des mains en se heurtant à l'une des lames. Elle faillit tomber en se réceptionnant, mais elle réussit à se stabiliser malgré ses jambes qui flanchaient.
A peine redressa-t-elle la tête qu'elle vit son adversaire couverte de sang ramasser une flèche qui traînait là et la pointer vers elle. Merde. La force du lancer serait ridiculement petite, mais la distance qui les séparait l'était encore plus. Son premier réflexe fut de se jeter au sol, recroquevillée pour protéger ses organes vitaux. Soudain, juste avant que les pointes ne l'atteignent, un petit bouclier d'eau jaillit de son bras droit, qui recouvrait sa tête, et dévia quatre des flèches qui la menaçaient. La cinquième, en venant se loger dans son mollet droit, là où la protection aquatique, plus éloignée de son centre, demeurait trop faible, lui causa une douleur fulgurante qui lui fit aussitôt perdre le bouclier.
Nakana releva le regard vers Yami. Au vu de son état, celle-ci risquait de toute façon de mourir. Ce serait trop bête de perdre la vie à sa merci.

Quelques pâtés d'immeubles plus loin, Luka, à dos de scooter, fonçait à travers les rues de Tomodachi. Le rugissement affolé du moteur faisait se retourner, surpris, les habitants qui étaient sur le chemin de la plaine, sans compter les noms d'oiseau lancés par les automobilistes lorsqu'il grillait un feu rouge ou prenait un sens interdit. Et puis, petit à petit, les rues devinrent désertes. Il savait qu'il y était presque… mais il ne se rappelait plus où tourner. Et de là où il se trouvait, il ne pouvait pas apercevoir le faisceau géant, dissimulé par les bâtiments. A chaque croisement, il jetait un coup d’œil à droite et à gauche, espérant revoir les boules lumineuses qu'ils avaient repérées depuis le toit.
Les voilà ! Le pirate, qui avait failli rater le tournant, exécuta un virage sec au dernier moment, manquant se prendre un poteau dans la figure. Il ne s'était pas remis de sa frayeur quand il se rendit compte que l'engin lancé à pleine vitesse allait tout droit dans le mur.

Là-haut, le vrombissement d'un petit moteur qui arrivait du sud et le grand bruit du choc qui le fit taire tout à coup, perturbant le silence environnant, attirèrent l'attention des combattantes vers la colonne lumineuse. Alors Nakana se ressaisit en un quart de seconde, se jeta sur son épée, se redressa sur sa jambe encore solide et frappa Yami en plein ventre. Pas trop profond, pour que sa vie tienne encore quelques instants. Une fois mieux assurée sur ses pieds, elle retira sa lame d'un coup sec, laissant le monstre s'effondrer à terre.
Curieuse de savoir quel téméraire s'était assez approché des étranges lumières pour troubler Yami, la contrebandière se traîna jusqu'au rebord du toit, là où Luka et elle s'étaient penchés en arrivant ici. Un agacement irrationnel s'empara d'elle lorsqu'elle reconnut son ami. Le jeune homme semblait reprendre tant bien que mal ses esprits après son accident. Ce petit con, elle en était sûre… Et en même temps, il lui gonflait le cœur d'estime.

« Il y a une chose qu'il faut que tu saches…, commença-t-elle à l'attention de la vaincue, en voyant que Luka, un peu moins désorienté à présent, accourrait vers la porte de l'immeuble. Il n'avait pas de pouvoirs. »

Elle venait de se tourner vers Yami, qui agonisait dans une mare de sang. Eh, dire que c'était elle-même qui avait fait le plus gros du boulot…

« J'imagine que tu m'en veux pas trop pour ton appareil photo, vu que t'en auras plus besoin », lança-t-elle en se dirigeant vers son adversaire.

Elle s'assit près d'elle en se laissant presque tomber, les dents serrées pour contenir la douleur lancinante générée par la flèche. Elle s'en occuperait après.

« Tu peux encore parler ?, demanda-t-elle en tournant le visage ensanglanté de Yami vers elle, sans aucune douceur sinon la précaution que demandait son état. Dis-moi, tu connais Lysis ?… Lysistrata ? Je veux dire, tu la connais vraiment ? »

La vue de Yami se brouillait petit à petit, beaucoup trop vite à son goût en tout cas… Mais au moins, restait l’ouïe qui lui permet d’entendre un bruit de moteur en bas de l’immeuble. Quelqu’un d’autre voulait lui mettre un coup ? Comme si Nakana seule, ce n’était déjà pas assez à gérer. Pire, elle se laissait en plus distraire par ce son, assez pour ne pas pouvoir voir l’épée qui lui transperça le ventre… S’en était d’un ridicule. S’écroulant au sol, elle ne sentit peu à peu plus la majorité de ses membres…

Entendant à peine, la voix de Nakana lui parvint, lui arrachant un léger sourire. Les personnes aux plus forts caractères avaient toujours certain points communs : quand on regardait vraiment comment elles pensaient, elles avaient un don pour s’inquiéter énormément pour leurs proches. C’était presque touchant de voir à quel point nombre d’habitants de cette ville semblait se préoccuper de Lysis. Une nouvelle zone lumineuse apparut à côté de Nakana, d’où sortit ce qui semblait être un petit avion en papier, sans doute trop lourd pour bien voler, il retomba presque immédiatement.

Les lèvres du monstre s’entre-ouvrirent légèrement, mais aucun son ne put sortir que déjà sa tête retomba lourdement en arrière et que ses yeux sans vie regardaient le ciel. Glissant entre les mains de la pirate, Yami disparut à travers le sol, comme dans son ombre, ne laissant derrière elle qu’une mare de sang et le fameux avion en papier qui, une fois déplié, laissait place à un texte de deux pages.

”L’avion en papier”:

Non, elle n'obtiendrait rien de cette loque au bord de la mort. La contrebandière laissa échapper son mépris dans un soupir moqueur, mais Yami lui donna tort presque aussitôt : du sol qui s'illumina près d'elle, ce ne furent pas de nouvelles lames qui sortirent comme Nakana s'y attendit d'abord, mais une étrange sorte d'oiseau en papier. Il n'était pas vierge. La jeune femme tourna un regard interrogateur vers son adversaire vaincue ; celle-ci venait de rendre l'âme. Et puis, elle disparut sous ses yeux. La pirate resta un certain temps là, immobile, à fixer le sang qu'elle avait fait couler et dans lequel la fille aux couettes s'était comme dissoute sans laisser de trace.
Elle finit par déplier l'oiseau en papier, lentement, et jura en découvrant qu'il lui faudrait lire pas moins de deux pages pleines d'une écriture qui ne lui disait rien. N'empêche, elle se mit immédiatement à la tâche. Elle n'avait pas terminé le premier paragraphe que son ami inquiet apparut dans l'encadrement de la porte.

« Naka ! », hurla-t-il en se précipitant vers elle.

Elle replia en quatre la lettre de Yami sans même chercher à la cacher, mais Luka n'y prêta pas la moindre attention. Lui aussi avait pris cher en s'encastrant dans le mur, visiblement.

« Par Barbe Noire !, s'écria-t-il, paniqué par la vue du sang encore chaud au sol. Il s'agenouilla auprès d'elle avant de poser la main sur sa jambe blessée. Oh merde… T'as pas trop mal ?… AÏE !!! »

Il venait de se prendre une droite monumentale. Nakana le fusillait du regard. A balles réelles. Encore un peu et elle trouverait la force de lui en mettre une autre. Il allait s'énerver, mais c'était inutile, ils n'avaient pas d'énergie à gaspiller.

« Espèce de tarée, tu savais très bien que j'allais revenir, lui reprocha-t-il simplement en tirant son propre poignard de sa ceinture. Et elle ? Où… où elle est passée ? »

« Elle a disparu. »

« … Disparu ? »

« Je l'ai tuée et elle a disparu. »

Le jeune homme demeura un instant suspendu à cette réponse, comme si on la lui avait donné dans une langue qui lui était inconnue. Puis il secoua la tête – tant pis, il comprendrait plus tard.

« Laisse-moi m'occuper de ça », demanda-t-il en reportant son attention sur la flèche plantée dans le mollet de Nakana.

Celle-ci voulut prendre les devants en la saisissant à deux mains pour l'arracher tout court, mais le pirate l'arrêta net :

« Surtout pas !!! La pointe risque de rester fichée ! Elle est pas rentrée trop profondément, mais regarde comme elle tient bien ! Va falloir agrandir la plaie… D'accord ?… Allonge-toi, ça ira mieux. »

Pour une fois, la contrebandière s'exécuta et laissa faire son ami. Le poing serré sur le front, les yeux fixés au ciel nuageux, elle attendit, sans rien laisser paraître de la douleur qui lui remontait dans tout le corps, qu'il termine l'opération. Heureusement, il était habile. Ce fut l'affaire de deux minutes tout au plus.

« Ça y est. Reste tranquille, hein. »

Elle l'entendit déchirer tout un pan de son T-shirt, qu'il enroula rapidement et solidement autour de sa blessure, à défaut de mieux.

« Et voilà. Il faudra juste désinfecter, au cas où. »

Et maintenant, tandis que le temps était compté, ils devaient attendre. Luka revenait de trois courses éprouvantes, Nakana d'un combat à mort, alors en cet instant de répit, toute la tension qui leur avait travaillé les nerfs retomba à plat – et en même temps elle demeurait, latente. Au bout d'un moment, la jeune femme ressortit la lettre de Yami et la tendit à Luka.

« Tu peux lire ça ? »

Son ami la prit et l'examina, intrigué.

« Qu'est-ce que c'est ? »

« Elle me l'a laissée avant de partir. »

Sans poser plus de questions, Luka commença :

« "[…] Je l’ignorais pour Luka, ou du moins, n’avait aucune certitude claire sur le sujet" – ah, tu lui as dit finalement… "Fais en sorte qu’il porte l’épée de la sirène chaque nuit à minuit. Elle devrait avoir suffisamment de magie en elle pour lui permettre de rester conscient lors de l’heure sombre" – hein ? L'heure sombre… Mais… c'est là qu'a eu lieu la bataille contre l'Eternalis Corporation, non ? Qu'est-ce que ça vient faire là ? Pas possible que Soruka soit déjà dans le coup… "[…] Un monstre mort est un monstre qui gagne en puissance, et je suis loin d’être la plus forte" – mais qu'est-ce que c'est que ces histoires de monstres ? Ça… ça veut dire qu'on va la revoir ? C'est trop étrange… "Si jamais il combat lors de l’heure sombre et perd l’épée, cela symbolisera sa mort : son adversaire n’aura qu’à ouvrir le cercueil." »

Il marqua une petite pause, juste le temps d'intégrer toutes ces informations. En soi, il ne s'attendait même pas à avoir autant de temps devant lui. Alors oui, il pourrait voir Tomodachi à l'heure sombre. Mais vraiment, la perspective si proche de la mort… ça lui donnait mal au cœur. Il frissonna.

« "Lysis…" – hein ?! Qu'est-ce que Lysis vient faire là-dedans ?! »

« Continue. »

« "Lysis est le réceptacle du monstre gérant les illusions. L’âme d’Epsilon ne peut prendre le contrôle que quand elle s’affaiblit, fais en sorte que cela n’arrive pas et elle restera Lysis jusqu’au bout" – bordel je comprends rien… "[…] J’ai cru comprendre que tu es assez proche de certains Hunters, tu peux donc les avertir. Cadran" – cadran ? Qu'est-ce que ça veut dire ? »

Nakana, toujours allongée, haussa les épaules. Un sourire ironique était apparu au coin de ses lèvres. Elle, proche de certains Hunters ? Yami, tes informations ont bien besoin d'être dépoussiérées.

« "Ne te préoccupe pas plus que ça de Lysis, il est peu probable qu…" »

Luka, ahuri, relut plusieurs fois cette dernière ligne pour lui-même, pour s'assurer qu'il n'avait pas mal compris. La pirate se redressa lentement.

« Il est peu probable que quoi ? »

Son ami leva vers elle un regard sombre.

« Qu'elle survive », termina-t-il simplement en lui tendant la lettre.

Il sortit aussitôt une cigarette de sa poche, la porta à ses lèvres, l'alluma et tira dessus à pleins poumons en tournant le regard vers l'orée de la ville. Nakana jeta un œil à la fin du texte. Alors comme ça, la petite Hunter était au cœur de l'histoire. Cette fille avait décidément du mystère à revendre.

« Qu'est-ce qu'on fait ?, finit par demander le contrebandier après un long silence, qui se prolongea encore quelques instants. Tu dis rien… »

Nakana ne parla pas plus. Elle n'avait rien à dire pour l'instant et voulait surtout savoir sur laquelle des pentes glissantes qui s'offraient devant eux allait s'aventurer son ami.

« Écoute… On est venus voir par curiosité, et tu t'es battue par provocation… mais maintenant faut qu'on choisisse si on veut vraiment s'engager là-dedans… S'engager dans un enfer… »

Cet affreux dilemme lui tordait les entrailles. Sa raison lui disait une chose, mais son cœur lui en dictait mille autres. Et il ne comprenait rien, il ne savait pas où était sa place dans tout ça, il ne savait pas ce qu'il en était vraiment de Yami et de tout ce bordel, des combattants de la ville, ni de Lysis !

« Putain !!! », cria-t-il tout à coup de rage.

Ça le rendait dingue, cette boule au ventre ! Il hésita mais finit par se lâcher :

« Pourquoi ?! Pourquoi Naka ? Pourquoi la vie finit toujours par te donner raison quand tu dis qu'il faut s'attacher à personne ? J'ai qu'une envie là, c'est qu'on se tire d'ici avec les autres pour sauver nos vies ! Mais bordel, regarde-moi ! Tu... tu me vois… tu me vois faire ça ?! Alors qu'ils sont tous en danger ? Et que Lysis… »

Il ne voulait même pas terminer sa phrase. Cela l'obligea au moins à se calmer.

« Tu sais, je l'adore, cette fille. Je suis désolé, Naka, je… J'aurais préféré ne penser qu'à nous, comme avant. Qu'on puisse fuir sans se poser de questions… Mais tu comprends ? Je peux pas… Je sais même pas si je pourrai faire quoi que ce soit pour aider avant qu'il soit trop tard, mais si je peux, ne serait-ce que… qu'un coup d'épée… qu'une goutte d'eau dans cet enfer… »

Luka soupira, résigné.

« J'ai pris ma décision… Et toi ? »

La pirate souriait du coin des lèvres, les yeux tournés vers la ville. Depuis longtemps elle ne l'écoutait plus que d'une oreille, comme si elle avait déjà anticipé son choix.

« Moi, j'ai bien envie de voir ce qui va se passer… »

Le jeune homme suivit le regard de son amie : deux des faisceaux de lumière qui s'élevaient par dessus les toits de la ville avaient disparu quand ils n'y prêtaient plus attention, au nord et dans le centre. Ils n'étaient pas seuls, alors… Et Yami devait avoir des camarades disséminés aux quatre coins de Tomodachi.

« Tu sais quoi, ma vieille ? On finira par crever à force de se brûler les ailes., songea-t-il avant de se tourner vers elle. Mais promets-moi que ce sera pas aujourd'hui. Ni demain. Ni pour bientôt. Pas avant très longtemps. »

Elle l'observa longtemps, de ces yeux profonds qui en disaient le plus long possible comme pour lui éviter d'avoir à le dire autrement.

« Promets-le moi. »

Elle ne le pouvait pas et ne le voulait pas non plus – il y avait sans doute trop de chances de rompre cette promesse pour que le simple fait de l'accorder ne soit pas un mensonge en lui-même. Il n'en avait jamais été autrement. Luka, qu'est-ce qui te fait si peur à présent, alors qu'on a toujours eu plus de chances de finir esclaves, noyés ou embrochés que d'atteindre la fin de notre adolescence ? Et qu'on en a réchappé ! Au fond, elle connaissait la réponse : Tomodachi était plus irrationnelle que le plus sanguinaire des pirates de la mer, et ce sentiment était insupportable au jeune homme. Dans ce cas, pourquoi s'obstinaient-ils à rester alors qu'il pourraient partir couler des jours heureux n'importe où ailleurs sur cette Terre ? Trop de choses, trop de personnes les retenaient déjà ici, et, à ce sujet, Luka devait se sentir infiniment plus responsable que son amie. En renonçant à cette promesse, il eut l'impression de renoncer à croire en eux.
Il soupira à nouveau de dépit, se releva, écrasa son mégot et s'approcha du rebord du toit pour jeter un œil à leur propre colonne de lumière. Le scooter était toujours là, renversé, mais toutes les sphères qu'ils avaient aperçues au sol tout à l'heure et qui se trouvaient encore là quand il était revenu avaient disparu. Toutes, sauf une.

« Il faudrait qu'on descende, voir ce qu'on peut faire avec ce truc, nous aussi… Mais tu peux à peine marcher. »

« Aide-moi à me relever au lieu de dire n'importe quoi. »

Il fit comme elle le lui avait demandé, même s'il aurait été plus rassuré qu'elle accepte de se laisser porter. Au moment où ils allaient franchir le seuil de la cage d'escalier, le contrebandier laissa Nakana s'appuyer contre le mur et courut chercher quelque chose qui était tombé de l'autre côté du toit. Il se pencha pour ramasser les morceaux de l'appareil photo de Yami, puis alla rejoindre son amie.

« Qu'est-ce que tu comptes faire avec ça ? », s'enquit-elle avec dédain.

« Voir si y a moyen de le réparer, quand tout sera fini… On y va ? »

Une fois devant l'immeuble, ils se retrouvèrent face à l'unique sphère qu'il restait. La lumière semblait émaner de cette petite boule transparente dont ils ne savaient pas trop que faire.

« C'est peut-être dangereux… »

Nakana dégaina son épée, encore rouge du sang de son adversaire, et s'approcha lentement de l'objet lumineux. Elle leva les yeux vers le faisceau, regarda de nouveau la boule et, le plus naturellement du monde, tapa du pied dedans. La lumière s'évanouit aussitôt.

« Ça… ça a marché », souffla le pirate, stupéfait.

Il alla ramasser la sphère qui avait roulé de l'autre côté de la route. Il fallait sans doute ne pas la laisser traîner là, des fois que quelqu'un viendrait la remettre à sa maudite place.

« Bon… On fait quoi maintenant ?, demanda-t-il en retrouvant la jeune femme, avant de répondre lui-même à sa propre question, après réflexion. Je vais rentrer vers le squat et essayer de convaincre le plus de monde possible de partir. C'est ce que je peux faire de mieux, je pense… »

Nakana ne semblait pas le suivre dans son idée.

« Tu viens pas ? »

« Je crois que je vais aller voir de plus près ce qui se passe dans le centre. »

« Mais meuf, ta jambe ! Faut que tu te reposes, quelques heures au moins ! »

« T'inquiète pour ça. »

Luka se renfrogna, mais il cessa d'essayer de la convaincre. Elle ne voulait pas se reposer, elle ne se reposerait pas et il n'y changerait rien.

« Alors n'oublie pas cette histoire de cadran, si tu croises du monde… Tu as ton portable ? Chargé ? »

Nakana tira le téléphone de sa poche pour s'en assurer, mais elle eut l'air légèrement surprise en allumant l'écran.

« Tiens, oui, il est chargé. »

« Normal, c'est moi qui m'en suis chargé », lui fit savoir Luka.

Il rit comme un idiot en s'approchant de son amie qu'il serra fort contre son cœur, longtemps. Pour une fois, il la sentit se blottir contre lui sans chercher à fuir. En se jetant dans la gueule du loup et en la laissant partir seule dans cet état, il avait le sentiment de tout trahir, tout, tout.
Lorsqu'elle finit par se libérer de son étreinte, il ne trouva que la force de dire :

« Bon… On se tient au courant, alors ? »

Nakana acquiesça et le regarda s'élancer vers la mission qu'il s'était assignée, refusant de trop faire durer ce moment.

« Luka ! »

Il se retourna, se demandant s'il avait oublié quelque chose.

« N'oublie pas de quoi on est capables. »

Les yeux du jeune homme s'illuminèrent. Il retourna son sourire à la contrebandière, puis il reprit sa course jusqu'aux bas-quartiers, tandis que Nakana se mettait en route vers le centre-ville.

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